Cioran ou le gai désespoir – résumé
Le livre retrace la vie et la pensée d’Émile Cioran, écrivain roumain devenu l’un des moralistes les plus singuliers du XXᵉ siècle. Né en 1911 à Rășinari, en Transylvanie, fils d’un prêtre orthodoxe et d’une mère mélancolique, Cioran grandit dans un univers marqué par la foi, la solitude et la maladie. Très jeune, il découvre le mal de vivre et se fait remarquer par son intelligence aiguë. Ses premières années roumaines sont traversées d’insomnies, de fièvres intellectuelles et d’un désespoir qu’il transforme peu à peu en matière de réflexion.
Son premier livre, Sur les cimes du désespoir, paru en 1934 à Bucarest, révèle un écrivain d’une intensité rare. Dans un style fiévreux et lyrique, il y exprime déjà son dégoût de la vie et sa fascination pour la mort. Les thèmes du néant, du temps et de la souffrance sont présents dès ce premier texte. À cette époque, Cioran est encore nourri de Nietzsche, de Schopenhauer et des mystiques allemands. Il y a en lui un romantisme noir, une ferveur existentielle qui se mue en lucidité.
Après ses études à Bucarest, il obtient une bourse pour aller à Berlin. Nous sommes dans les années 1930 : Cioran, jeune intellectuel fasciné par la décadence européenne, observe la montée du nazisme avec une curiosité qui deviendra plus tard une honte. Cette période allemande est décisive. Il découvre la puissance de la pensée tragique, mais aussi la violence des idéologies. À son retour en Roumanie, il publie Des larmes et des saints, un livre mystique et provocateur où il affirme que Dieu est une invention de la douleur humaine. Ce texte lui attire l’hostilité des religieux et le rend célèbre.
Quand il s’installe à Paris en 1937, Cioran a déjà décidé de se détacher de tout : de sa langue, de sa patrie, de ses illusions. Il vit dans une chambre du Quartier latin, sans ressources, et se met à écrire en français, qu’il maîtrise avec une élégance douloureuse. Son premier livre français, Précis de décomposition, publié en 1949, est un choc. Chaque phrase y est une déflagration, un aphorisme d’une beauté sèche. Cioran y déploie une pensée du désespoir clairvoyant : vivre, écrit-il, c’est consentir à sa défaite.
Mais ce désespoir n’est jamais pesant. Cioran écrit avec légèreté, ironie, parfois même avec tendresse. D’où le titre du livre : le gai désespoir. Chez lui, l’abîme devient une source de style, le malheur une élégance. Il transforme le pessimisme en musique. Il rit de la vanité humaine tout en s’y incluant. Cette lucidité joyeuse, cette façon d’aimer la vie à travers ce qui la nie, fonde toute sa singularité.
Au fil des chapitres, le portrait de Cioran s’affine : celui d’un homme solitaire, marchant la nuit dans les rues de Paris, hanté par la pensée de la mort et la nostalgie de la Transylvanie. Il n’appartient à aucun mouvement, ne fréquente aucun salon, mais attire autour de lui écrivains et philosophes fascinés par sa parole. Ses conversations avec Gabriel Marcel, Paulhan ou Beckett témoignent de cette admiration silencieuse qu’il inspire.
L’ouvrage montre aussi son rapport complexe à la langue. En abandonnant le roumain pour le français, Cioran se condamne à l’exil intérieur. Il dit avoir perdu son âme en gagnant un style. Le français devient pour lui une prison parfaite, un instrument d’épuration. Dans cette langue apprise tard, il trouve la rigueur et la sécheresse nécessaires à son écriture aphoristique.
La vieillesse, la folie, l’ennui, la lucidité extrême : autant de thèmes qui traversent ses livres, de Syllogismes de l’amertume à De l’inconvénient d’être né. L’auteur du Gai désespoir montre que Cioran n’a jamais cessé d’être fidèle à une seule idée : la conscience est une malédiction, mais aussi la seule grandeur de l’homme. Refusant les illusions religieuses ou politiques, il choisit de rire de tout, y compris de lui-même.
Les dernières années de Cioran sont marquées par le silence. Il cesse presque d’écrire, marche seul dans le Luxembourg, médite sur l’effacement. La maladie d’Alzheimer finit par le priver de mémoire et de mots, lui qui avait bâti toute son œuvre sur la clarté du verbe. Il meurt à Paris en 1995, laissant derrière lui une œuvre sans système, mais d’une cohérence totale : celle d’un homme qui n’a jamais cessé de penser contre lui-même.
Cioran ou le gai désespoir dresse le portrait d’un écrivain qui fait du désenchantement une forme de lucidité, et du désespoir un art de vivre. À travers lui, c’est une philosophie sans dogme qui s’exprime, une manière d’habiter le vide avec élégance et humour.
3 points clés de Cioran ou le gai désespoir à connaître pour faire semblant de l’avoir lu alors qu’on ne l’a pas lu
- Le passage du roumain au français : Cioran abandonne sa langue maternelle pour écrire en français, qu’il considère comme une forme d’exil intérieur. Ce changement marque un tournant décisif dans son style, devenu plus sobre, plus musical, et profondément marqué par l’ironie.
- L’idée du « gai désespoir » : c’est le cœur du livre et de la pensée de Cioran. Le désespoir n’est pas une fin, mais une clarté. Il faut, selon lui, rire de l’absurdité de la vie, car la lucidité est le seul luxe qu’il reste à l’homme.
- La vie d’un solitaire parisien : installé dans une chambre du Quartier latin, vivant de presque rien, Cioran passe ses nuits à marcher et à écrire. Ce quotidien austère et nocturne incarne sa philosophie : refuser le confort, préférer la lucidité à l’illusion, et transformer le néant en beauté.
Laisser un commentaire