« Houris » de Kamel Daoud – résumé
Résumé complet du livre Houris de Kamel Daoud (Prix Goncourt 2024)
Le roman Houris de Kamel Daoud se déroule en grande partie à Oran, une ville algérienne baignant dans la méditerranée. Nous y suivons Aube, une jeune femme étrange et marquée par un passé douloureux. À travers son récit, le lecteur plonge dans l’intimité de son existence marquée par des blessures profondes, aussi bien physiques que psychologiques. Le roman commence la nuit du 16 juin 2018, alors qu’Aube, isolée dans son appartement, parle à un fœtus qui grandit dans son ventre. Ce dialogue imaginaire avec cet être non-né devient l’un des fils conducteurs du livre.
Dès le départ, Aube est présentée comme une femme au visage atypique, marqué par une cicatrice profonde qu’elle appelle son « sourire », une balafre qui s’étend d’une oreille à l’autre et qui cache une trachéotomie. Ce sourire n’est ni naturel ni signe de joie ; c’est la conséquence d’une violence subie durant son enfance, à l’âge de cinq ans, pendant la guerre civile algérienne. Depuis lors, Aube respire par une canule, ne possède plus de voix naturelle et doit apprendre à écrire et s’exprimer autrement. Pour elle, cette blessure n’est pas seulement une mutilation physique, mais aussi un symbole du traumatisme et du poids de l’histoire récente de l’Algérie.
L’histoire d’Aube est liée à celle de sa mère adoptive, Khadija, une femme forte et courageuse, avocate renommée à Oran. Khadija elle-même a vécu une existence difficile. Elle fut abandonnée, alors qu’elle n’était qu’un bébé, devant une mosquée à Alger le 5 juillet 1962, jour de l’indépendance algérienne. Recueillie puis adoptée par un couple d’infirmiers, Khadija a grandi dans la conviction de devoir se battre pour être entendue et respectée. Devenue avocate, elle utilise sa voix puissante pour défendre ceux qui, comme elle, ont été rejetés par la société. En adoptant Aube, elle consacre toute son énergie à la sauver et à l’élever avec amour, bien que souvent, cet amour se traduise par une surprotection et des tensions entre les deux femmes.
La relation entre Khadija et Aube est donc centrale dans le roman. Khadija a toujours refusé la fatalité liée à l’état d’Aube, et elle a passé des années à essayer de lui redonner une voix, même si chaque opération chirurgicale à laquelle Aube a été soumise s’est soldée par un échec. Lorsqu’Aube était petite, Khadija l’emmenait souvent à la mer, du côté des Andalouses, dans l’ouest du pays. Ces escapades à l’aube étaient des moments de paix pour Aube, où la mer et les mouettes venaient combler le silence imposé par sa condition.
Alors qu’Aube attend cet enfant non désiré, le roman devient une véritable confrontation entre elle et la vie qui grandit en elle. Elle s’adresse au fœtus qu’elle appelle « ma petite Houri », oscillant entre l’envie de le laisser venir au monde et le désir de l’épargner de la brutalité de la vie dans un pays qui, selon elle, est incapable de traiter correctement les femmes. Ce dilemme est présent tout au long du livre : Aube se demande si elle doit continuer à garder cet enfant ou y mettre fin, pour l’empêcher de vivre une vie de souffrance. Sa voix intérieure devient de plus en plus forte, exprimant ses doutes, ses espoirs et sa colère face à une société qui ne laisse que peu de place à celles qui sont comme elle.
Le livre explore aussi le contexte algérien, avec des références récurrentes à la guerre civile et à la décennie noire des années 1990, pendant laquelle des milliers de personnes ont été tuées. Aube raconte comment elle a vécu cette époque, étant elle-même une survivante de cette violence. Le « sourire » qu’elle porte sur son cou est le symbole de cette histoire que beaucoup préfèrent oublier, mais qu’elle porte en elle comme un livre ouvert. Elle explique que son corps est une sorte de témoignage vivant de cette époque douloureuse, une trace indélébile des exactions et du chaos qui ont marqué son pays.
Un autre élément important du roman est la préparation de la fête de l’Aïd, la fête du sacrifice, qui s’approche au fur et à mesure que l’histoire avance. Cette fête, pendant laquelle des moutons sont sacrifiés, est perçue par Aube comme un écho de sa propre existence : les moutons, tout comme elle, sont sacrifiés pour satisfaire un rituel religieux qui semble leur échapper. Pour Aube, la fête est une métaphore de sa propre condition de femme, prise au piège dans une société patriarcale et violente où elle n’a jamais eu de contrôle sur son propre destin.
Dans la deuxième partie du livre, la tension monte lorsque Khadija décide de partir à Bruxelles pour rencontrer un spécialiste, nourrissant l’espoir d’une nouvelle opération qui pourrait permettre à Aube de parler à nouveau. Ce départ laisse Aube seule avec son dilemme, dans un appartement rempli de souvenirs, d’angoisses et d’échos du passé. Elle oscille entre l’espoir de retrouver sa voix et la peur de ne jamais pouvoir être entièrement elle-même. Aube évoque les multiples tentatives de chirurgie, les moments où Khadija s’effondrait de tristesse à chaque échec, et comment chaque défaite la replongeait dans le silence imposé par sa condition.
Pendant l’absence de Khadija, Aube laisse libre cours à ses pensées sur la précarité de sa situation et la possibilité de tuer l’enfant qu’elle porte. Elle pense à sa propre naissance, lorsqu’elle a survécu à une tentative d’égorgement, et compare son propre destin à celui du bélier de l’Aïd, prêt à être sacrifié. Elle raconte ses rêves, ses peurs, ses souvenirs, et tente de se résoudre à mettre fin à cette vie avant qu’elle ne commence. Aube est une femme divisée entre deux langues : la langue extérieure, difficile et brisée, et sa langue intérieure, riche et fluide, qui lui permet de s’exprimer pleinement mais seulement à elle-même.
Vers la fin du roman, Khadija revient de Bruxelles, mais son voyage n’a pas apporté les réponses espérées. Elle rentre désabusée, mais elle cache cette déception, ne voulant pas infliger plus de souffrance à Aube. Khadija retrouve sa fille dans une atmosphère lourde, marquée par la tension et l’attente. Aube n’a finalement pas eu la force de se débarrasser de l’enfant, et la confrontation entre les deux femmes est inévitable. Le roman se termine sur une note ouverte, laissant le lecteur dans une incertitude quant au sort d’Aube et de son enfant. Le désir de libération d’Aube demeure entier, mais la question de savoir si cette libération est possible reste sans réponse.
En fin de compte, Houris est un roman poignant qui explore la condition féminine en Algérie, la violence de l’histoire, et la difficulté de vivre avec les stigmates du passé. Aube est un personnage complexe et fascinant, qui lutte pour sa propre survie, tout en se demandant si cette vie vaut la peine d’être transmise. Le livre nous invite à réfléchir sur le sens du sacrifice, sur l’importance de la voix et de la parole, et sur la façon dont nous portons en nous les traces des traumatismes passés. L’écriture de Kamel Daoud, riche et imagée, donne à voir le monde intérieur d’une femme qui tente de se réapproprier sa vie dans un contexte qui ne laisse que peu de place à ceux qui refusent de se conformer.
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