L’heure des prédateurs – Giuliano da Empoli – résumé

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L’heure des prédateurs – Giuliano da Empoli – résumé

Quand les premières nouvelles du débarquement d’Hernán Cortés parvinrent à la capitale aztèque, Moctezuma hésita entre soumission et résistance. Il choisit d’envoyer des cadeaux. Ce geste, fait pour apaiser, n’empêcha ni la guerre ni la chute. C’est par cette image que débute ce récit écrit à la manière d’un scribe aztèque : par fragments, par scènes saisies sur le vif, pour raconter la bascule d’un monde vers un autre.

Ce monde en train de basculer, c’est celui des démocraties libérales confrontées aux nouveaux conquistadors de la technologie, de l’intelligence artificielle et de l’information. D’un sommet diplomatique à l’autre, d’un rendez-vous à huis clos dans un hôtel de luxe à une réunion au siège de l’ONU, l’auteur, dans son rôle d’observateur, assiste à la lente dépossession des pouvoirs publics au profit de quelques empires privés.

À New York, en septembre 2024, une conversation entre le président de l’Autorité palestinienne et son homologue français est interrompue par l’attention subite de quatre silhouettes bureaucratiques à la simple mention d’un mot inattendu. À Riyad, en novembre, on assiste à l’écrasement méthodique d’une aristocratie locale dans les salons dorés du Ritz-Carlton, transformés en centre de détention. Le prince héritier Mohammed ben Salmane y mène sa propre purge, assisté de mercenaires de Blackwater, avec pour seul objectif de consolider son pouvoir.

À Montréal, un congrès de technologie dévoile les promesses et les vertiges des lunettes connectées. L’avenir se projette dans une fusion entre l’homme et l’interface, entre les désirs et leur exécution immédiate. Tandis que dans un hôtel de Lisbonne, les plus hauts responsables politiques du monde occidental — les “amis de Kissinger” — se retrouvent impuissants, désemparés face aux demi-dieux de l’intelligence artificielle, comme Sam Altman ou Demis Hassabis, dont les propos révèlent une foi religieuse dans le progrès technologique, une foi sans besoin d’humanité.

Le pouvoir, dans cet univers, ne s’exerce plus comme avant. Il n’est plus dans les mains visibles des chefs d’État, mais dans celles opaques de ceux qui contrôlent les réseaux, les plateformes, les algorithmes. Ce pouvoir ne s’assume pas, il se dissimule derrière la fluidité des applications, les algorithmes de notation, les décisions prétendument automatiques. À Lieusaint, en banlieue parisienne, un maire tente de négocier avec les représentants de Waze pour détourner la circulation de ses écoles et hôpitaux. Il ne les reverra jamais.

À Washington ou Chicago, l’auteur décrit les fausses solennités des grands rendez-vous politiques. La fondation Obama organise un dîner avec un “facilitateur de conversation” qui impose à tous les invités de répondre à des questions personnelles calibrées pour générer un moment d’émotion artificielle. Le capitaine Rocca, garde du corps taciturne, symbole du vieux monde sécuritaire, se ratatine à vue d’œil dans ce monde de storytelling forcé et de brocolis bio.

À l’ONU, à l’Assemblée générale, les dirigeants se bousculent dans les couloirs, s’affrontent pour un ascenseur, tandis que les grands discours ne sont plus écoutés que par une poignée de personnes. Les autres sont au téléphone, sur leur ordinateur, dans des tractations secondaires. Tout se joue ailleurs. L’art oratoire n’a pas disparu, mais il ne sert plus à convaincre une salle, seulement à envoyer le bon signal à une caméra.

Dans une scène à Rome en 1998, l’auteur revisite la figure de Machiavel observant César Borgia. Tout comme le secrétaire florentin constatait la nécessité de la violence pour restaurer l’ordre, l’auteur voit dans les figures d’aujourd’hui des avatars contemporains du Prince : Elon Musk, MBS, Peter Thiel, chacun à sa manière un maître du chaos. Leur stratégie n’est pas de convaincre, mais de déstabiliser. Leur objectif : occuper le vide laissé par les États fatigués.

La technologie, l’IA, les algorithmes ne sont pas des outils neutres. Ils sont des forces de pouvoir. Ils centralisent, opacifient, rendent tout quantifiable sauf ce qui fait sens. Le numérique, en réduisant la réalité à des données, ne permet plus de planifier. Nous avons de plus en plus d’informations, mais nous comprenons de moins en moins le monde dans lequel nous vivons. L’horizon a disparu. Les futurs culturels, disait William Gibson, étaient un luxe d’autrefois. Nous n’avons même plus assez de “maintenant” pour qu’ils tiennent debout.

De Florence à Berlin, de Paris à Riyad, les épisodes s’enchaînent. Un vieux diplomate croisé sur les quais de Seine médite sur sa disgrâce. À Berlin, un haut fonctionnaire tente de défendre la possibilité d’un projet européen, face à des interlocuteurs qui ne veulent plus que des solutions immédiates. À Lisbonne, encore, la question centrale est posée : quelles parties de notre existence voulons-nous confier à l’IA, et lesquelles voulons-nous préserver pour l’humain ? Car choisir l’humain, c’est accepter de payer le prix de l’inefficacité.

Et pourtant, malgré la domination apparente des seigneurs de la tech, des résistances subsistent. Lula, revenu de l’oubli, sait encore faire rire une salle. Macron, malgré son goût pour la mise en scène, provoque encore quelques émotions diplomatiques. Même si le monde ne leur appartient plus vraiment, ils continuent à jouer leurs rôles.

Ce récit, écrit à la manière d’un scribe aztèque, n’est ni une analyse ni un manifeste. Il est le témoignage d’une transition. L’ancien monde ne tient plus que par habitude. Le nouveau monde n’a pas encore trouvé sa forme. Entre les deux, le scribe prend note, regarde, décrit, accumule les fragments. Il ne juge pas. Il voit. Et il sait que l’heure des prédateurs a sonné.

5 points clés de L’heure des prédateurs à connaître pour faire semblant de l’avoir lu alors qu’on ne l’a pas lu

  1. Le Ritz-Carlton transformé en centre de détention par MBS
    En 2017, Mohammed ben Salmane fait enfermer plus de 300 princes et milliardaires saoudiens dans le Ritz-Carlton de Riyad, leur retirant téléphones et passeports avant de les soumettre à des interrogatoires conduits par d’anciens agents de Blackwater. L’objectif : récupérer des milliards de dollars pour financer ses projets pharaoniques, tout en écrasant ses rivaux. Un épisode raconté comme une relecture contemporaine du Prince de Machiavel.
  2. Le maire de Lieusaint face à l’algorithme de Waze
    Le maire tente de faire dérouter le trafic de transit généré par l’application Waze autour des écoles et hôpitaux de sa commune. Mais il ne parvient jamais à obtenir de réponse de l’entreprise. Cette impasse symbolise la dépossession progressive du pouvoir local par les grandes plateformes numériques.
  3. La scène tendue entre Macron et Zelensky à l’ONU
    Dans une salle sécurisée surnommée “le bunker Ukraine”, Zelensky, au bord des larmes, rattrape Macron à la fin d’un entretien pour lui chuchoter une demande désespérée. Macron, d’abord figé, finit par répondre : « C’est une idée. » Ce moment souligne la solitude des dirigeants dans les crises contemporaines, même entre alliés.
  4. Le théâtre diplomatique vide de l’Assemblée générale de l’ONU
    La grande salle de l’ONU n’est jamais pleine, même quand un chef d’État parle. La plupart des diplomates sont sur leur téléphone ou discutent entre eux. Mais un mot bien placé dans un discours peut encore tout changer. Le livre souligne que dans ce monde saturé d’informations, l’attention réelle est rare, mais précieuse.
  5. Le parallèle constant avec Léonard de Vinci et la bataille d’Anghiari
    L’auteur tisse tout au long du livre un parallèle entre notre époque et celle de Léonard de Vinci, au moment où l’Italie tombe sous la domination étrangère faute d’avoir su résister. Léonard voulait représenter la guerre comme une mêlée chaotique, violente, animale. Une image que l’auteur reprend pour illustrer le monde actuel, où les États se disloquent sous les coups des prédateurs technologiques, militaires et politiques.

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