Pour qui roule Mediapart – Gilles Gaetner – résumé
Cher Edwy,
Tu n’as pas changé. Tu continues à enflammer les rédactions, à irriter tes adversaires, à incarner ce journalisme de combat que tu as toujours revendiqué. Depuis ce déjeuner non loin de Mediapart, six ou sept ans déjà, je n’ai cessé de te lire. Et pourtant, aujourd’hui, il me faut te répondre, te confronter, questionner ton éthique, ta ligne, tes silences, tes indignations sélectives.
Depuis 2008, Mediapart, que tu as fondé en tambour battant, s’est imposé dans le paysage médiatique. Tu voulais un média affranchi des puissances d’argent, un journal libre, indépendant, fondé sur la transparence et la rigueur. Un journal vertueux. Tu y as mis ton nom, ton passé, tes combats. Très vite, cependant, certains principes ont été bousculés, certaines méthodes contestées. Ton passé d’agitateur trotskiste, ta trajectoire du journal Rouge au Monde, ton obsession pour la vérité – parfois brutale – te suivent comme une ombre.
Tu es partout. Dans les enquêtes, les plateaux, les livres, les conférences. Ta silhouette, ta moustache, ton regard noir sont devenus des figures familières du débat public. Et dans ce jeu de quilles, tu ne fais pas de prisonniers. De Cahuzac à Sarkozy, de Fillon à Benalla, de Balkany à Besson, tu frappes fort, souvent juste. Mais parfois à côté. La présomption d’innocence, tu la malmènes. La nuance, tu l’égratignes. L’affaire Dumas reste, à cet égard, un cas d’école : 52 unes dans Le Monde, des mois d’acharnement, une condamnation annulée, et toi, imperturbable, titrant : « L’innocent M. Dumas ».
À la faveur de l’enquête, tu es tour à tour juge, procureur, avocat. Tu juges. Tu condamnes. Et lorsque la justice ne va pas dans ton sens, tu la défies. Pourtant, tu connais le prix de l’erreur. Toi-même victime d’écoutes sous Mitterrand, toi-même pris au piège de l’affaire Abdallah où la police, par manque de pistes, t’a embobiné. Mais le scoop, l’information, la prise, sont trop tentants.
Ton parcours éclaire ta manière. Ton père, fonctionnaire sanctionné pour ses idées anticolonialistes. L’Algérie, où tu grandis, où tu vis ta première révolte à la mort du Che. Ton engagement à la LCR. Ta virulence dans Rouge, ton soutien, à 20 ans, à l’action de Septembre noir à Munich, que tu qualifieras plus tard de lettre ridicule, mais que tu n’as jamais vraiment reniée. Le journalisme, pour toi, est une forme de lutte. Et le journal que tu as créé, un prolongement de cette lutte.
Mais ce Mediapart, que tu as dirigé d’une main de fer, s’est peu à peu transformé en organe de défense de son fondateur. Un journal où toute critique envers toi devient suspecte, où les hommages ressemblent à des canonisations. L’affaire Cahuzac, révélée par Mediapart, t’a hissé au sommet. Mais les scoops ont parfois un parfum d’arbitraire : le fisc, la morale, la politique, tout se mélange. Le Canard enchaîné en a fait les frais. Giesbert, Zemmour, Praud, Naulleau, Valls, tous t’ont affronté. Tu rends coup pour coup. Mais derrière l’insulte ou l’invective, n’y a-t-il pas un peu de vérité ?
Tu es un homme d’images autant que de mots. Tu poses dans Gala, tu pleures dans Thé ou Café, tu parles de ta femme avec tendresse. Et pourtant, tu dénonces la pipolisation. Tu fustiges l’argent, mais vends ta participation à Mediapart pour 2,6 millions d’euros. Tu critiques les médias classiques, mais t’invites partout, sauf chez Bolloré.
Le conflit israélo-palestinien révèle peut-être le mieux ton biais. Face au massacre du 7 octobre 2023, tu restes silencieux. Pas un mot sur les exactions du Hamas. Pas une ligne sur les otages. Tu préfères parler de l’occupation, de l’apartheid, du droit à la résistance. Tu donnes la parole à ceux qui justifient les massacres. Tu refuses d’appeler terroristes ceux qui l’ont été. Un vieux tropisme ? Une fidélité mal placée ?
Tu es un monument du journalisme. Tu en imposes. Mais tu divises. Certains te vénèrent, d’autres te méprisent. Tu es l’homme des causes, mais aussi celui des querelles. Tu veux sauver la démocratie, mais parfois tu piétines ses principes. Tu veux tout dire, tout voir, tout dévoiler. Tu veux, sans relâche, démasquer les puissants. Mais dans cette quête, tu as fini par devenir toi-même un pouvoir.
Et c’est peut-être là ton paradoxe : pourfendeur des empires, tu es devenu empereur de ton propre royaume.
3 points clés de Pour qui roule Mediapart à connaître pour faire semblant de l’avoir lu alors qu’on ne l’a pas lu
- L’affaire des Irlandais de Vincennes : Edwy Plenel a été l’un des premiers à dénoncer la manipulation orchestrée par les services de l’État en 1982, visant à faire passer trois militants irlandais pour des terroristes. C’est lors d’une réception au ministère de l’Intérieur qu’il capte une confidence décisive, lançant une enquête qui révélera une barbouzerie montée de toutes pièces. Cette affaire devient le socle de sa légende.
- L’éditorial sur la relaxe de Roland Dumas : Après la relaxe en appel de l’ancien président du Conseil constitutionnel dans l’affaire Elf, Plenel publie un éditorial dans Le Monde intitulé « L’innocent M. Dumas », estimant que l’acquittement judiciaire ne valait pas l’innocence morale. Cette tribune suscite un tollé, notamment chez ses collègues, et incarne la dérive du journalisme de conviction vers le journalisme de condamnation.
- Le traitement du massacre du 7 octobre 2023 : Le livre reproche à Mediapart d’avoir soigneusement évité de qualifier le Hamas de groupe terroriste après le massacre de 1 200 civils israéliens. Les articles publiés les jours suivants mettent surtout en avant les réactions palestiniennes et les causes structurelles du conflit, illustrant, selon Gaetner, l’aveuglement idéologique persistant de Plenel.
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